Vins: la contrefaçon en Chine décuplée par internet

Des millions de bouteilles françaises sont contrefaites chaque année.Pékin a décidé de reconnaître 45 appellations de vins de Bordeaux.

C’est une victoire française. A l’occasion de la réunion en Chine des ministres de l’Agriculture du G20, Pékin a annoncé ce jeudi avoir décidé de « reconnaître 45 appellations de vins de Bordeaux » (AOC), les vins les plus connus en Chine. Un « signal fort » selon Fabien Bova, directeur de l’interprofession en France. « Cette reconnaissance signifie des moyens supplémentaires pour défendre ces appellations devant la justice chinoise », a souligné le ministre de l’Agriculture, ­Stéphane Le Foll, de passage à Pékin.

Malgré « une certaine prise de conscience » des problèmes qu’elle pose à l’industrie des vins et spiritueux, la contrefaçon reste pratiquée à grande échelle en Chine. Selon un rapport très fouillé du ministère du Commerce extérieur actualisé en mai 2015, il y a « bien plus de vins français contrefaits en Chine que de vins non contrefaits et la situation ne cesse d’empirer. […] La grande majorité des contrefaçons sont le fait des importateurs et des distributeurs de vins et spiritueux qui cherchent à diminuer leurs prix d’achat ».

Les vins français sont ­victimes à la fois de leur notoriété et de leurs prix, majorés par des taxes à l’entrée qui peuvent atteindre 48 % quand les vins concurrents du Nouveau Monde sont libres de droits. Un point sur lequel le ministre de l’Agriculture n’a rien obtenu lors de son déplacement.

Une chasse sophistiquée

Très largement stimulée par le développement du commerce sur internet, la contrefaçon oblige les entreprises à une chasse de plus en plus sophistiquée. « Elle entre dans les foyers en deux clicks. Le digital est un changement énorme car il permet de toucher beaucoup plus de monde », explique un expert d’un géant français des spiritueux. Sur le site d’Alibaba, le géant du e-commerce chinois, « on peut commander des chaînes d’embouteillage de ­contrefaçon, tout comme on peut acheter des copies de bouteilles prestigieuses à remplir », ajoute cet expert. Pressée par les victimes, l’administration chinoise a d’ailleurs publiquement dénoncé l’ampleur de la contrefaçon sur Alibaba en 2015, jugeant la proportion de faux commercialisés par le site très élevée, tous types de produits confondus.

Désormais, les groupes victimes de ce pillage ont des équipes entières dédiées à la chasse à la contre­façon sur internet. La contrefaçon revêt toutes sortes de formes, y compris le remplissage d’eau ou de vinaigre de bouteilles qui ont déjà été consommées.

Une lutte permanente

Un commerce extrêmement lucratif qui porte sur des millions de flacons. « Plus elles sont chères, plus elles sont contrefaites », précise un cadre de Moët-Hennessy. Le problème est d’une ampleur telle qu’il oblige les entreprises exportatrices à multiplier les initiatives contre ces pratiques frauduleuses. « On doit toujours avoir un coup d’avance. Être à l’affût en permanence. Gêner les fraudeurs », explique Mathieu Prot, directeur de la propriété intellectuelle chez Pernod-Ricard. Le groupe français a fait de la lutte contre­ la contrefaçon un cheval de bataille. La politique du groupe en la matière est la « tolérance zéro ». Pernod Ricard se targue d’être le groupe le plus en pointe en la matière. « Il en va de notre crédibilité et de notre image », affirme Mathieu Prot. L’alcoolier a son propre réseau d’enquêteurs, à l’origine de « 10.000 raids par an sur les lieux de vente en Chine ». Il a également des cabinets d’avocats dédiés. « Nous traduisons systématiquement les fraudeurs devant la Cour », précise Mathieu Prot.

Aucun des groupes sollicités par « Les Échos » n’a accepté de chiffrer le coût de la lutte contre les faux. Mais tous reconnaissent l’ampleur des dépenses induites, qui portent sur des millions de bouteilles. La France a exporté 180 millions de bouteilles de vin vers la Chine en 2015 et 31 millions de bouteilles de spiritueux, pour des valeurs respectives de 513 et 319 millions d’euros.

Marie-Josée Cougard
Les Échos (03/06/16)