Enquête : ces OGM cachés dans nos assiettes

Par Emilie TorgemenLe 28 février 2020 à 07h33, modifié le 28 février 2020 à 10h50

Chicon dans le Nord, endives partout ailleurs. Le légume ultra-basse calorie détesté des enfants est présent sur les étals une bonne partie de l’année, d’octobre à avril. « Le lieu de production, le nom de la variété, le caractère bio ou pas, on trouve beaucoup d’information sur les étiquettes mais jamais la mention manipulée génétiquement », s’énerve Guy Kastler, responsable de la commission semences à la Confédération paysanne. Ce syndicat agricole, associé à différentes associations environnementales, crie aux « OGM cachés » et réclame leur interdiction ou, à tout le moins, une plus grande transparence.

Une décision du Conseil d’Etat leur donne des ailes. La plus haute juridiction administrative vient d’enjoindre au gouvernement d’interdire tournesols et colza rendus résistants aux herbicides. « Endives, choux, navets, poireaux, betteraves… Il y a dans nos placards beaucoup d’aliments issus de mutagenèse, de fusion cellulaire, bref, bidouillés génétiquement sans que ce soit indiqué. 85 % des endives sont concernées, on en trouve même dans les magasins bio », se désole Guy Kastler.

Pourquoi les modifier ?

Pourquoi les chicons des Ch’tis sont-ils génétiquement modifiés? L’objectif est de rendre les semences ultra-féminines, dans le jargon on dit « CMS » pour « cytoplasme mâle stérile », afin de mieux contrôler le processus d’hybridation. Les endives au naturel sont à la fois mâles (pollen) et femelles (graine). Or, dans les années 1980, on a « castré » une lignée d’endive pour éviter qu’elle ne s’autoféconde quand on la croise avec une lignée mâle choisie pour des caractéristiques qui intéressent les maraîchers : la précocité, la résistance aux insectes…

« OGM, oui, mais cachés, certainement pas, défend Emmanuel Lesprit, directeur du pôle amélioration des plantes de l’Union française des semenciers. Il n’y a pas de grand complot ! » Il décompte de lui-même : « Sur 58 variétés d’endives, 47 sont des hybrides et sont presque toutes issues de cette fusion cellulaire. » Les professionnels se contentent de suivre la loi. Ces légumes sont bien des OGM selon la réglementation européenne. Seulement, ils sont exemptés des contrôles stricts, étiquetage et surveillance. « Parce que la fusion a lieu au sein de la même famille botanique et donc qu’elle aurait pu se faire de manière naturelle », souligne Emmanuel Lesprit.

Mais le tournesol, utilisé pour cette fusion, est bien un lointain cousin de l’endive. « Une hybridation en plein champ est très improbable », remarque Véronique Chable, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

Est-ce dangereux ?

On mange donc des OGM sans le savoir. Est-ce dangereux ? « Bien sûr que non, répond Emmanuel Lesprit. Ces endives sont largement commercialisées depuis plus de quarante ans, elles ont fait la preuve de leur innocuité. » Les anti-OGM, eux, brandissent le principe de précaution. Pour la santé de la planète, en revanche, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a conclu à la dangerosité des « variétés mutantes » créées pour résister aux herbicides : elles risquent de développer la résistance des mauvaises herbes, et in fine le recours aux produits phytosanitaires pour les éliminer.

Les anti-OGM prêchent pour une transparence totale vis-à-vis des consommateurs. D’autant que, même parmi les producteurs, peu d’entre eux sont au courant de ces techniques. « Difficile d’indiquer sans CMS sur une étiquette. Personne ne sait ce que cet acronyme signifie, relève Véronique Chable. Pointer du doigt les semenciers ne sert à rien. Peut-être faut-il revoir notre système qui, pour des questions d’efficacité, pousse à ce type de manipulation. »

Quelques acteurs ont tout de même des cahiers des charges plus pointilleux et ont exclu tous les légumes issus de semence CMS. C’est le cas de la certification Demeter respectant le cahier des charges du label bio de l’UE, de la coopérative BioBreizh en Bretagne (lire ci-contre) ou de la filière qualité Carrefour. En matière d’endives, certaines variétés — first lady, bingo, baccara et vintor — sont garanties sans fusion cellulaire.

OGM : ce que dit la loi

La directive européenne de 2001 a créé deux catégories d’organismes génétiquement modifiés (OGM). A tort, selon les anti-OGM ; avec ce qu’il faut de bon sens, considèrent les semenciers. Maïs transgénique capable de repousser les insectes, colza muté pour créer des plants résistants aux herbicides, superlégumes dits « crispeurs » au génome découpé aux « ciseaux moléculaires », endives issues de fusions cellulaires… Ces végétaux sont bien des OGM selon la réglementation européenne. Mais, d’après elle, si certaines techniques créent officiellement des organismes génétiquement modifiés, elles ne nécessitent pas le même niveau de contrôle ni d’étiquetage ni de surveillance.

C’est le cas de la fusion cellulaire quand elle intervient au sein de la même famille botanique car un tel croisement serait, en théorie, possible en plein champ. C’est aussi le cas de certaines mutagenèses « historiques ». En substance, la directive considère que les végétaux « qui ont été traditionnellement utilisés » ont eu le temps de faire la preuve de leur innocuité. En France, le Conseil d’Etat vient de donner au gouvernement neuf mois pour faire respecter les règles strictes par les OGM rendus résistants aux herbicides par mutagenèse. « Cela pourra amener en pratique à retirer les variétés concernées du catalogue et à en suspendre la culture », prévoit la haute juridiction.

Salon de l’agriculture: les enjeux de la propriété intellectuelle pour le végétal

Le 24 février, à l’occasion du salon international de l’agriculture, je suis intervenu sur le plateau TV #VillageSemence.

L’émission Semence Mag était consacrée aux enjeux de la propriété intellectuelle pour le végétal.

J’ai échangé avec Claude Tabel, président de l’Union française des semenciers (UFS), et Ivar Couderc, journaliste.

Vous pouvez visionner l’émission en cliquant ici.

Lutte contre la contrefaçon: la Côte d’Ivoire et la France renforcent leur coopération

Le 18 février, à l’occasion d’un déplacement en Côte d’Ivoire avec le président du Sénat, j’ai signé une convention de coopération entre le Comité national de lutte contre la contrefaçon (CNLC) et le Comité national anti-contrefaçon (CNAC), en présence du ministre ivoirien du commerce et de l’industrie, Souleymane DIARRASSOUBA.

Créé en 2014 et présidé par Michel N’ZI, le CNLC est une autorité administrative indépendante qui a pour mission de lutter contre la contrefaçon sur le territoire ivoirien (actions préventives ; coordination, suivi et évaluation des programmes de lutte anti-contrefaçon ; participation à l’élaboration des projets de loi et des programmes de lutte contre la contrefaçon et le piratage ; coopération internationale ; etc.). Composé de représentants des secteurs public et privé, il dispose d’un réel pouvoir en matière de saisies de contrefaçons. Il peut en effet être saisi par un titulaire de droits ou s’autosaisir d’un dossier de contrefaçon et demander la suspension des opérations d’importation ainsi que l’interdiction de la commercialisation des marchandises contrefaisantes. De plus, toute affaire de contrefaçon issue des services douaniers ou de la police judiciaire doit être remontée au CNLC.

La convention de coopération vise principalement à :

  • faciliter les échanges d’informations et de bonnes pratiques ;
  • favoriser la mise en œuvre de plans de formation et de campagnes de sensibilisation ;
  • soutenir la création de comités de lutte contre la contrefaçon dans d’autres pays, à commencer par les pays d’Afrique subsaharienne.

À l’issue de la cérémonie de signature de la convention, j’ai participé à une rencontre-débat sur la lutte contre les faux médicaments. Organisée par la conseillère régionale pour les questions de propriété intellectuelle de l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, Caroline ROLSHAUSEN, elle a rassemblé de nombreux représentants des forces de sécurité, du secteur de la santé, de l’industrie pharmaceutique et de l’ambassade de France.

La contrefaçon de médicaments constitue un véritable fléau qui touche désormais toutes les classes thérapeutiques (anti-cancéreux, antipaludiques, anti-diarrhéiques, produits érectiles, amincissants, etc.). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un médicament sur dix en circulation dans les pays à revenu faible ou intermédiaire est soit de qualité inférieure, soit falsifié (sept médicaments sur dix dans certains pays d’Afrique). Par ailleurs, plus de la moitié des médicaments achetés sur des sites internet seraient des contrefaçons.
Les faux médicaments représentent une grave menace pour la santé publique. Selon les cas, ils ne contiennent aucun principe actif, des principes actifs mal dosés, des substances toxiques (mercure, plomb, arsenic, mort au rat, antigel, cire pour plancher, etc.) ou des principes actifs totalement différents de ceux du produit authentique. Selon l’OMS, les faux médicaments seraient responsables de plus de 700.000 décès par an. En Afrique subsaharienne, entre 64.000 et 158.000 décès seraient imputables, chaque année, à des antipaludiques de qualité inférieure ou falsifiés.
La contrefaçon de médicaments est une activité particulièrement lucrative. Selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), elle serait dix à vingt-cinq fois plus rentable que le trafic de drogue.

La Côte d’Ivoire n’échappe pas à ce phénomène. Le trafic de faux médicaments y représenterait environ 75 millions d’euros. Les faux médicaments se retrouvent non seulement dans les marchés de rue, mais aussi dans les officines et les hôpitaux. En novembre 2019, une saisie record de 200 tonnes de faux médicaments a été effectuée à Abidjan. Face à ce fléau, le ministère ivoirien de la santé se mobilise : création du Comité de lutte contre le trafic illicite et la contrefaçon des médicaments (COTRAMED), réforme de la régulation du secteur pharmaceutique, signature de la convention dite « Médicrime » (premier instrument international juridiquement contraignant dans le domaine du droit pénal dont l’objet est de lutter spécifiquement contre la contrefaçon des produits médicaux).

Dans le cadre de la coopération franco-ivoirienne, Expertise France finance, via l’Initiative 5%, le projet MEDTIC (un million d’euros), qui vise à lutter contre les médicaments de qualité inférieure et falsifiés à travers l’utilisation de technologies innovantes :

  • Authentimed (application numérique permettant l’authentification et la traçabilité des produits pharmaceutiques) ;
  • Med Safety (application numérique permettant une notification en ligne des effets indésirables par les professionnels de la santé et les patients) ;
  • Raman (spectromètre permettant de déterminer la molécule présente dans un médicament).

Une étude relative à la mise aux normes d’un incinérateur de déchets issus de la vaccination est en cours. Financée dans le cadre d’un contrat de désendettement et de développement (reconversion de la dette remboursée par la Côte d’Ivoire en subvention pour des projets de développement), elle vise à rendre cet incinérateur compatible avec la destruction de faux médicaments.

Un projet de séminaire régional sur les faux médicaments est par ailleurs à l’étude (initiative ambassade de France/Expertise France). Ce séminaire permettrait « des échanges techniques entre les forces répressives, les autorités judiciaires et le secteur de la santé afin d’engager un dialogue commun et de mettre en place de vraies plateformes d’échange pour améliorer la coordination régionale en matière de lutte contre les faux médicaments ».

Le Gouvernement ouvre la voie à la création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention

Lors du conseil des ministres du mercredi 12 février, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a présenté une ordonnance portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention.

Vous trouverez, ci-dessous, l’extrait du compte rendu du conseil des ministres relatif à ce texte.

Le ministre de l’économie et des finances a présenté une ordonnance portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention.

Cette ordonnance, prise sur le fondement de l’article 121 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, vise à permettre aux tiers de demander par voie administrative la révocation ou la modification d’un brevet d’invention.

Le brevet confère à son titulaire un monopole temporaire d’exploitation sur l’invention qui en est l’objet. Dans l’état actuel du droit, dès lors qu’il a été délivré par l’institut national de la propriété industrielle, le brevet ne peut être annulé que dans le cadre d’une action judiciaire. La nécessité de recourir à la voie judiciaire pour faire valoir ses droits de propriété industrielle constitue un frein pour les acteurs économiques les plus faibles, notamment les petites et moyennes entreprises, les start-ups ou les inventeurs indépendants.

Le droit d’opposition prévu par l’ordonnance crée une procédure administrative simple et peu coûteuse, susceptible d’éviter une procédure judiciaire en cas de litige peu complexe. Ce nouveau dispositif permet un alignement du droit français sur les pratiques d’autres offices de propriété industrielle en Europe et dans le monde.

La création du droit d’opposition aux brevets d’invention s’inscrit dans le cadre des actions de modernisation du système français de propriété industrielle prévues par la loi du 22 mai 2019, dont l’objectif est de conforter la qualité des brevets français, et ainsi de renforcer l’attractivité de la France pour le dépôt de titres de propriété intellectuelle.