Nouveau contretemps pour la JUB et le brevet européen à effet unitaire

Le 20 mars, la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne a annoncé avoir censuré – pour des raisons procédurales – la loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JUB).

Rendue le 13 février, cette décision était très attendue, la loi ayant été votée en 2017. Selon la cour de Karlsruhe, cette loi modifie substantiellement la constitution allemande (transfert de souveraineté à la JUB) et aurait donc dû être adoptée à la majorité qualifiée des deux tiers, et non à la majorité simple (seule une trentaine de membres du Bundestag étaient présents lors du vote).

Signé le 19 février 2013 par les États membres de l’Union européenne – à l’exception de la Croatie, de la Pologne et de l’Espagne -, l’accord relatif à une JUB prévoit que la future juridiction disposera d’une compétence exclusive pour les actions relatives à la contrefaçon et à la validité des brevets européens « classiques » (brevets délivrés dans le cadre de la convention de Munich de 1973) et des brevets européens à effet unitaire (brevets délivrés dans le cadre des règlements européens des 11 et 17 décembre 2012).

Contrairement aux brevets européens « classiques », les brevets européens à effet unitaire seront automatiquement valables dans l’ensemble des États participants. Les innovations seront ainsi moins coûteuses et plus simples à protéger.

Les nouveaux titres ne pourront être délivrés qu’à partir de l’entrée en vigueur de l’accord relatif à une JUB, qui est conditionnée à sa ratification par treize États, dont les trois États membres ayant le plus grand nombre de brevets européens (Allemagne, France et Royaume-Uni). L’accord a déjà été ratifié par seize États, dont la France (2014) et le Royaume-Uni (2018).

Selon la ministre allemande de la justice et de la protection des consommateurs, le gouvernement fédéral « examinera les possibilités de remédier au vice de forme constaté » avant la fin de la législature en cours, prévue en septembre 2021. On peut cependant s’interroger sur l’opportunité d’organiser un nouveau vote au parlement allemand, dans la mesure où le retrait du Royaume-Uni de l’UE et du système du brevet unitaire rend probablement nécessaire une modification de l’accord du 19 février 2013. Ce point de droit doit impérativement être éclairci. Il y va de la compétitivité de nos entreprises.

COVID-19 : la lutte anti-contrefaçon est plus que jamais d’actualité

4,03 milliards d’euros. C’est la valeur totale des produits pharmaceutiques de contrefaçon commercialisés dans le monde.

Cette estimation est tirée d’un rapport publié, le 23 mars dernier, par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il ressort de l’analyse des données relatives aux saisies douanières effectuées entre 2014 et 2016 que les antibiotiques, les médicaments « à la mode » et les analgésiques sont les principales cibles des contrefacteurs. Parmi les autres médicaments de contrefaçon saisis par les douanes figurent des traitements contre le cancer, le diabète, la malaria, le VIH et les maladies cardiaques.

L’EUIPO et l’OCDE confirment que le commerce de produits pharmaceutiques de contrefaçon « est facilité par l’augmentation du nombre d’envois par petits colis postaux ou par lettres, qui sont plus difficiles à détecter par les agents des douanes ». Entre 2014 et 2016, 96% de l’ensemble des saisies douanières de produits pharmaceutiques de contrefaçon concernaient des envois postaux ou des livraisons par courrier express.

La publication de ce rapport est intervenue quelques jours après que l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a annoncé avoir ouvert une enquête concernant les importations de faux produits utilisés dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 (masques, tests de dépistage, désinfectants, dispositifs médicaux, etc.). Selon l’OLAF, la pandémie « a malheureusement offert de nouvelles opportunités aux fraudeurs ». Depuis plusieurs semaines, l’office recueille des renseignements et des informations sur ce trafic illicite. Il est en contact étroit avec les autorités compétentes des États membres et des pays tiers. Il fournit aussi des données aux États membres en temps réel.

Pour protéger la santé de la population et lutter efficacement contre le COVID-19, il est « crucial » d’empêcher l’entrée sur le marché européen des produits contrefaisants, qui sont « inefficaces contre le virus » et « ne respectent pas les normes de l’UE ». Ils sont notamment susceptibles de « provoquer une dangereuse contamination bactérienne ».

Attirés par des gains illicites potentiellement énormes, les contrefacteurs cherchent à « profiter de notre détresse ». Selon l’OLAF, « des masques contrefaisants ont été proposés en ligne dans différents États membres de l’UE à des prix variant entre 5 et 10 euros, soit environ trois fois le prix normal ». De faux masques pour enfants font par ailleurs l’objet d’une « contrebande impitoyable ».

L’OLAF constate également que « les produits contrefaisants entrent en Europe via des ventes en ligne et sont acheminés par la poste ». Ils « arrivent aussi par conteneurs avec de faux certificats […] et se retrouvent dans les circuits de distribution normaux ou sont vendus au marché noir ». Ils sont par ailleurs introduits dans l’UE par des passagers aériens ou à travers les frontières terrestres.

Du 3 au 10 mars, Interpol a coordonné une opération mondiale ciblant la vente en ligne de médicaments et dispositifs médicaux illicites et contrefaisants (Pangea XIII). Menée dans 90 pays, elle a conduit à l’arrestation de 121 personnes ainsi qu’à la saisie de produits potentiellement dangereux dont la valeur marchande s’élève à plus de 14 millions de dollars (4,4 millions d’unités de produits pharmaceutiques et 37.000 dispositifs médicaux).

Pas moins de 2.000 bannières publicitaires en lien avec la pandémie de COVID-19 ont été recensées sur Internet, proposant des masques contrefaisants, de faux sprays, des « packs anti-coronavirus » ainsi que des médicaments censés soigner les malades du coronavirus. Par rapport à la précédente édition de l’opération Pangea (2018), les saisies d’antiviraux non autorisés ont augmenté de 18%. Les saisies de chloroquine non autorisée ont, quant à elles, augmenté de 100% ! Ces données confirment que la pandémie à laquelle le monde fait face offre aux criminels « l’opportunité de gagner de l’argent rapidement » en « tirant bénéfice de la forte demande pour les produits d’hygiène et de protection individuelle ». Selon le secrétaire général d’Interpol, la vente de faux produits pharmaceutiques en période de crise sanitaire révèle le « mépris total » des bandes criminelles pour le bien-être et la vie des gens.

Pendant la crise sanitaire liée au COVID-19, il importe de redoubler de vigilance. Afin de faciliter le repérage des faux produits pharmaceutiques, Interpol a publié quelques conseils utiles, dont vous pouvez prendre connaissance en cliquant ici.

Par ailleurs, vous pouvez lire le rapport de l’EUIPO et de l’OCDE en cliquant ici.

Stratégie industrielle pour l’Europe: vers un renforcement de la lutte anti-contrefaçon

Le 10 mars, la Commission européenne a présenté une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe, dont l’objectif est d’« aider l’industrie européenne à mener la double transition vers la neutralité climatique et le leadership numérique ».

Ce document prévoit notamment l’adoption d’un « plan d’action sur la propriété intellectuelle visant à évaluer la nécessité d’améliorer le cadre juridique, à garantir une utilisation intelligente de la propriété intellectuelle et à mieux lutter contre le vol de propriété intellectuelle ». Selon l’exécutif européen, l’UE doit « veiller à ce que sa politique de propriété intellectuelle aide à préserver et à renforcer la souveraineté technologique de l’Europe et à promouvoir une concurrence équitable à l’échelle mondiale ». Les actifs incorporels (marques, dessins, modèles, brevets, données, savoir-faire, algorithmes, etc.) aident à « déterminer la valeur de marché et la compétitivité des entreprises européennes ». Il apparaît donc « essentiel de mener des politiques intelligentes en matière de propriété intellectuelle pour aider toutes les entreprises à croître, à créer des emplois et à protéger et à développer ce qui les rend uniques et compétitives ».

La nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe s’accompagne d’un plan d’action visant à mieux mettre en œuvre et faire respecter les règles du marché unique. L’action n°14 concerne le renforcement de la lutte contre les produits contrefaisants. La Commission propose, d’une part, de s’inspirer des règles relatives à l’assistance administrative mutuelle en matière douanière et, d’autre part, d’étudier la possibilité d’étendre le mandat de l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF). La seconde proposition va dans le même sens qu’une recommandation formulée par la Cour des comptes dans son enquête sur la lutte contre les contrefaçons.

Lutte anti-contrefaçon: la Cour des comptes appelle les pouvoirs publics à « engager des actions plus volontaristes »

Le 3 mars, la Cour des comptes a remis au comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée nationale une enquête sur la lutte contre les contrefaçons.

Réalisée de mars à octobre 2019 auprès de nombreuses administrations – françaises et étrangères – et d’organisations internationales, cette enquête porte sur les atteintes aux droits de propriété industrielle et ne traite pas des violations des droits d’auteur, qui font l’objet d’une politique spécifique. Elle s’inscrit dans le prolongement d’un référé publié en 2014, dont les recommandations n’ont pas – ou peu – été suivies d’effets.  

Ce document doit servir de base à un rapport d’évaluation de la lutte contre la contrefaçon, que les députés Christophe Blanchet (LREM) et Pierre-Yves Bournazel (UDI-Agir) devraient présenter en juin.

Partant du constat que l’amplification du commerce de contrefaçons est « facilitée par la libéralisation des échanges » et « emporte de nombreux risques » pour les entreprises, l’État et les consommateurs, les magistrats de la rue Cambon jugent nécessaire de :

  • renforcer les actions de lutte contre les contrefaçons aux plans international et européen ;
  • mobiliser et coordonner plus efficacement les administrations françaises ;
  • renforcer l’information des consommateurs et des entreprises ;
  • adapter le dispositif juridictionnel de protection des droits de la propriété intellectuelle.

À cette fin, ils formulent onze recommandations :

1) Agir au sein du G7 et du Conseil européen pour faire de la lutte contre la production et le commerce de contrefaçons un axe des négociations sur le commerce mondial et des accords commerciaux entre l’Union européenne et les pays tiers (SGAE, SG MEAE, DGT).

2) Agir dans le cadre du Conseil européen pour inscrire la lutte contre les contrefaçons au nombre des priorités de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) et de l’Office européen de police (EUROPOL).

3) Œuvrer pour une meilleure harmonisation des dispositifs opérationnels de contrôles douaniers et réunir les conditions pour renforcer les procédures juridiques de protection des droits de propriété intellectuelle.

4) Agir dans le cadre de la révision de la directive commerce électronique, pour renforcer les obligations juridiques des plateformes numériques en matière de lutte contre les contrefaçons.

5) Établir d’ici fin 2020, sous l’autorité du Premier ministre, un plan d’action interministériel de lutte contre les contrefaçons et en confier la mise en œuvre au ministre chargé de l’économie.

6) Charger l’INPI de collecter l’ensemble des données utiles à la quantification de la contrefaçon et au recensement des actions des administrations, en vue de les transmettre à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et de contribuer au suivi du plan d’action interministériel.

7) Regrouper, sous l’égide de la DGDDI, des agents des différentes administrations concernées dans une unité chargée de centraliser et de partager le renseignement relatif à la contrefaçon.

8) Mieux informer les consommateurs des conséquences pour leur sécurité, l’économie et l’emploi, de l’achat de produits contrefaisants.

9) Expérimenter, en s’inspirant du dispositif canadien « Chargeback », un mécanisme permettant le remboursement aux consommateurs de leurs achats de contrefaçons sur Internet.

10) Poursuivre la spécialisation des juridictions et des magistrats dans le traitement des violations des droits de propriété intellectuelle.

11) Adapter la législation en :

  • mettant en place des amendes civiles en complément des dommages et intérêts ;
  • permettant la suspension groupée des noms de domaines portant atteinte à un même droit ;
  • examinant les conditions facilitant le recours à la peine complémentaire de confiscation des avoirs criminels pour les délits de contrefaçon simple.

Vous pouvez lire l’enquête en cliquant ici.