Observatoire européen du commerce illicite: 4 questions à Richard Yung, président du CNAC

Le 24 mai, j’ai répondu aux questions de l’Observatoire européen du commerce illicite.

Le Comité national anti-contrefaçon (CNAC) est une structure informelle française qui réunit des acteurs publics et privés concernés par le respect des droits de propriété intellectuelle et la lutte anti-contrefaçon. Son objectif principal est de faire en sorte que la défense des droits de propriété intellectuelle occupe une place plus importante dans l’agenda politique. Avec l’appui de l’INPI et de l’Unifab, il mène des actions de communication et de sensibilisation (campagne de communication sur Internet, conférences thématiques, rencontres avec des délégations étrangères, etc.). Il formule également des propositions de réformes législatives et réglementaires.

Eurobsit : Selon vous, la France se protège-t-elle suffisamment de la contrefaçon ?

Sénateur R. Yung : « La France dispose d’un arsenal législatif particulièrement étoffé. La lutte anti-contrefaçon a été renforcée par la loi du 11 mars 2014 (renforcement des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon ; amélioration des conditions de démantèlement des réseaux de contrefaçon ; facilitation de l’établissement de la preuve de la contrefaçon ; renforcement des capacités d’intervention des douanes). Je souhaite qu’un premier bilan de l’application de ce texte soit prochainement dressé. Il importe notamment d’analyser l’évolution du montant des dommages et intérêts, et de voir si la tendance est à la hausse.

Il est, par ailleurs, à noter que le quantum des peines applicables aux délits aggravés de contrefaçon a été augmenté en 2016, dans le cadre d’une loi relative à la lutte contre le financement du terrorisme. Les délits de contrefaçon commis en bande organisée ou sur un réseau de communication au public en ligne sont ainsi désormais punis de 7 ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende.

Plus récemment, une loi adoptée en 2017 a doublé le délai de prescription applicable au délit de contrefaçon en matière pénale (6 ans au lieu de 3 ans). Il sera intéressant de voir si cette réforme entraînera une augmentation du nombre d’affaires traitées par le juge pénal. Actuellement, les victimes de contrefaçon ont tendance à privilégier la voie civile, qui est plus rapide et offre souvent une meilleure visibilité quant à l’indemnisation du préjudice.

Il conviendrait de compléter ces réformes législatives par un renforcement de l’éducation à la propriété intellectuelle. Constatant que les jeunes de 15 à 24 ans sont les plus tolérants vis-à-vis de la contrefaçon et du piratage, j’ai suggéré au ministre de l’éducation nationale d’intégrer un volet « propriété intellectuelle » dans les programmes d’enseignement moral et civique. Sur ce point, je peux compter sur le soutien de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), qui gère un réseau chargé des questions de propriété intellectuelle dans l’éducation. »

E. : Pensez-vous qu’en Europe les textes de loi concernant la répression de la contrebande et de la contrefaçon cernent suffisamment l’ampleur du phénomène ?

Sénateur R. Yung : « Pour ce qui concerne les initiatives prises au niveau européen, elles sont, à mon sens, globalement insuffisantes, au regard du développement exponentiel de la cyber-contrefaçon.

Je regrette que la révision de la directive de 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dite « IPRED », ne constitue pas une priorité de la Commission européenne. Cette dernière s’est jusqu’ici contentée de publier des « orientations » visant à faciliter l’interprétation et l’application de cette directive. De nombreux titulaires de droits ont fait part de leur grande déception, que je partage.

En matière de lutte contre les contenus illicites en ligne portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, la Commission a récemment publié des recommandations (mise en œuvre de procédures de notification et de retrait plus claires, mise en place d’outils automatisés permettant de détecter et de supprimer tout contenu illicite, etc.). D’ici à la fin de l’été prochain, les États membres et les entreprises doivent informer la Commission des mesures prises pour donner suite à ses recommandations. Ce n’est qu’ensuite que l’exécutif européen évaluera la nécessité d’adopter des mesures législatives.

Selon moi, il est urgent de procéder à une refonte de la directive dite « e-commerce », qui a été adoptée il y a près de vingt ans ! Depuis 2011, je plaide pour la création d’un nouveau statut d’intermédiaire en ligne, celui d’éditeur de services (sites collaboratifs dits « 2.0 », sites de vente aux enchères, etc.). Étant donné qu’ils retirent un avantage économique direct de la consultation des contenus hébergés, même lorsque ces derniers sont illégaux, les éditeurs de services devraient être soumis à un régime de responsabilité intermédiaire, plus clément que celui des éditeurs mais plus sévère que celui des hébergeurs. Le Premier ministre s’est récemment déclaré en faveur d’une telle réforme, qu’il souhaite promouvoir auprès de nos partenaires européens. Je m’en félicite.

Tout en déplorant le manque d’ambition de la Commission européenne, je salue son initiative visant à créer une liste européenne des marchés sous surveillance en matière de propriété intellectuelle. Cette liste devrait être publiée d’ici à la fin de cette année. »

E. : Quelles sont les préconisations du CNAC pour contrer la contrefaçon ?

Sénateur R. Yung : « La lutte contre la cyber-contrefaçon est la priorité numéro un du CNAC. Nous souhaitons impliquer plus étroitement les intermédiaires de paiement en ligne dans la lutte anti-contrefaçon afin d’assécher les ressources financières des sites internet qui contreviennent massivement aux droits de propriété intellectuelle. À cette fin, j’encourage le secteur privé à créer un guichet unique chargé de centraliser les signalements relatifs aux sites susceptibles de contrevenir à la loi. Ce guichet transmettrait les dossiers les plus importants aux services répressifs, qui, au regard des informations collectées par le secteur privé et après d’éventuelles investigations complémentaires, décideraient de saisir ou non le parquet.

Parmi les autres propositions du CNAC figure la suppression définitive des noms de domaine portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle. En l’état actuel de la législation, ces noms de domaine, une fois supprimés, retombent dans le domaine public et peuvent dès lors être enregistrés par de nouveaux demandeurs. Cette situation n’étant pas acceptable, je souhaite qu’il y soit rapidement mis fin.

Par ailleurs, j’appelle de mes vœux la création d’un tribunal de la propriété intellectuelle pour les entreprises, sur le modèle de celui mis en place au Royaume-Uni (Intellectual Property Entreprise Court). L’objectif est double : simplifier le règlement des litiges portant sur un faible montant et faciliter l’accès à la justice des PME victimes de contrefaçon. Actuellement, certains titulaires de droits – à commencer par les PME – sont dissuadés de saisir la justice en raison, d’une part, de coûts de procédure disproportionnés par rapport au montant de la demande et, d’autre part, de délais de jugement trop longs. »

E. : Quels sont les avantages de la collaboration des secteurs privé et public dans la lutte contre la contrefaçon ?

Sénateur R. Yung : « Les entreprises et les pouvoirs publics collaborent en bonne intelligence dans le cadre des quatre groupes de travail du CNAC (sensibilisation et communication ; coopération internationale ; aspects normatifs et juridictionnels ; cyber-contrefaçon), qui sont chacun co-présidés par un représentant du secteur public et un représentant du secteur privé. Ces groupes de travail favorisent l’échange d’informations et facilitent le partage de bonnes pratiques.

Pour ce qui concerne le secteur public, je souhaite le renforcement du pilotage interministériel de la lutte anti-contrefaçon via la mise en place d’une instance légère de coordination, qui pourrait être une version élargie de l’actuel comité Bercy. »

Cet entretien a été publié sur le site internet de l’Observatoire.

Une version en anglais est disponible en cliquant ici.