« La contrefaçon de vin est une problématique occidentale »

Interview – La justice doit rendre sa décision dans l’affaire des fausses bouteilles du Domaine de la Romanée-Conti, ce lundi. Si les autorités affirment que la contrefaçon reste marginale en France, Aymeric de Clouet, expert en vin près de la Cour d’Appel de Paris, soutient que l’image de la France est en jeu.
Romanée-conti, chablis, côte-de-nuits… Par sa renommée, le vin français constitue une cible privilégiée des contrefacteurs. En témoigne notamment l’affaire des fausses bouteilles de Romanée-Conti, dont le jugement doit être rendu par le tribunal correctionnel, ce lundi. Ou encore l’histoire rocambolesque du «Docteur Conti», Rudy Kurniawan, condamné à dix ans de prison, en 2014. Expert en vins et spiritueux près de la Cour d’Appel de Paris depuis 2011, Aymeric de Clouet affirme que la contrefaçon est une problématique occidentale, dont les pouvoirs publics n’ont pas pris conscience.

Le Figaro – Vous affirmez que la contrefaçon de vins est une problématique européenne. Les nombreuses bouteilles de vin français contrefaites en Chine semblent pourtant indiquer le contraire. Comment l’expliquez-vous?

Aymeric de Clouet – Il existe différents types de contrefaçons. La production chinoise constitue davantage “un hommage” à la production française. En Chine, vous pouvez trouver une bouteille très ressemblante à celle d’un Petrus millésime 1947. L’étiquette est scannée. En revanche, ce ne sera pas Petrus qui sera marqué mais “Parcus”. On a bien affaire à une forme de parasitisme commercial, mais personne ne confond les deux bouteilles. La contrefaçon occidentale, et surtout celle qui sévit en Europe, est plus artisanale et se différencie par une véritable volonté de tromper.

Quels sont les vins français les plus contrefaits?

Dans les grands crus, les Pomerol, Médoc, Cognac sont très prisés par les contrefacteurs. La bouteille de Château Mouton Rothschild 1946 est, vraisemblablement, une des plus copiées au monde.

Comment les faussaires s’y prennent-ils pour duper les autorités et les clients?

Chaque contrefacteur a sa patte. Le principe de base reste tout de même de prendre des éléments anciens des bouteilles de grands crus: des bouchons, des étiquettes, des capsules, de la verrerie d’époque, etc. Sur une bouteille qu’on m’avait demandé d’expertiser, le faussaire avait repris des bouteilles authentiques du domaine. Son erreur, c’est de ne pas avoir su que la verrerie était différente sur l’année du millésime qu’il a voulu copier.

Qui sont les contrefacteurs?

La plupart des contrefacteurs français sont des particuliers, qui font de l’artisanat, soit chez eux, soit dans un petit atelier. À ma connaissance, ils sont cinq ou six dans l’Hexagone. En revanche, je serai incapable de dire s’ils se connaissent ou s’ils sont en concurrence. Je sais que certains fabriquent, d’autres sont des relais ou authentifient profitant de leur statut d’expert. Par essence, il s’agit d’un marché très opaque. Mais il continue d’exister car le gain est facile et la prise de risque minime.

Vous soutenez que la contrefaçon est un problème dont les pouvoirs publics n’ont pas conscience. Pour quelles raisons?

La DGCCRF [NDLR: Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] intervient uniquement lorsqu’il y a un souci de santé publique ou tromperie du consommateur. Les douanes, quant à elles, agissent quand il y a un problème de rentrées fiscales. Certes, le délit de contrefaçon est puni, mais il existe une forme de tolérance car cela ne touche qu’une faible quantité de bouteilles. Pourtant, ce phénomène n’est pas sans conséquence. Les pouvoirs publics ne se rendent pas compte que les grands crus incarnent l’image de la France.

Pauline CHATEAU

lefigaro.fr (15/05/17)