Future législation sur les services numériques: ma contribution à la consultation publique de la Commission européenne

D’ici à la fin de cette année, la Commission européenne doit présenter un paquet législatif relatif aux services numériques. Elle entend notamment « fixer des règles plus claires et modernes en ce qui concerne le rôle et les obligations des intermédiaires en ligne, y compris ceux établis dans des pays tiers et actifs dans l’UE, ainsi qu’un régime de gouvernance plus efficace pour assurer l’application correcte de ces règles sur tout le marché unique de l’UE, tout en garantissant le respect des droits fondamentaux ».

Selon le commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, l’objectif est de « trouver le bon équilibre entre un Internet sûr pour tous, la protection de la liberté d’expression et un espace permettant l’innovation dans le marché unique de l’UE ».

Afin de permettre aux citoyens et aux parties intéressées de « s’exprimer sur la manière de concevoir un cadre réglementaire moderne pour les services numériques et les plateformes en ligne dans l’UE », l’exécutif européen a organisé une consultation publique, qui s’est déroulée du 2 juin au 8 septembre.

Vous trouverez, ci-dessous, ma contribution, qui porte sur la responsabilité des plateformes numériques.

Je souhaite attirer l’attention de la Commission sur le fait qu’Internet est devenu l’un des principaux canaux de distribution des contrefaçons. En 2019, près de 29% des marchandises contrefaisantes interceptées par les douanes françaises provenaient du commerce électronique, contre 1% il y a vingt ans.

Ce constat préoccupant s’explique notamment par l’insuffisante diligence des plateformes numériques, qui sont soumises au régime de responsabilité limitée découlant de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. L’absence d’obligation générale en matière de surveillance des informations transmises ou stockées par les prestataires intermédiaires a favorisé l’émergence d’un modèle économique de l’Internet privilégiant la protection des grands acteurs au détriment de certains droits fondamentaux, dont le droit de propriété intellectuelle.

Depuis l’entrée en vigueur de la directive sur le commerce électronique, la distinction entre les hébergeurs et les éditeurs a perdu de sa pertinence. Les hébergeurs ne forment plus une catégorie homogène comprenant de simples intermédiaires techniques. Nombre d’entre eux ont abandonné leur rôle de stockage passif de données pour adopter une démarche plus active en :

  • publiant eux-mêmes des informations ;
  • vendant des espaces publicitaires et tirant des recettes qui dépendent du succès des contenus hébergés (mesuré au nombre de « clics ») ;
  • proposant un service aux internautes ;
  • exerçant, dans certains cas, une activité commerciale.

Les sites collaboratifs dits « 2.0 » et les sites de vente aux enchères figurent parmi les prestataires de services qui sont à mi-chemin entre les hébergeurs et les éditeurs. Stricto sensu, ils ne sont assimilables ni aux premiers, puisqu’ils vont au-delà du simple hébergement technique, ni aux seconds puisqu’ils ne déterminent pas les contenus qu’ils hébergent.

Depuis 2011, je plaide pour la création, via la révision de la directive sur le commerce électronique, d’un nouveau statut d’intermédiaire en ligne, à savoir celui d’éditeur de services [*]. Ce nouveau statut s’appliquerait aux prestataires de services qui retirent un avantage économique direct de la consultation des contenus hébergés, y compris lorsque ces derniers sont illégaux (sociétés diffusant des publicités à l’occasion de chaque consultation du contenu ; sociétés dont la rémunération est proportionnelle au nombre de « clics » effectués sur le lien hypertexte des annonceurs ; etc.).

Les éditeurs de services seraient soumis à un régime de responsabilité intermédiaire, plus clément que celui des éditeurs mais plus sévère que celui des hébergeurs.
Concrètement, ils auraient l’obligation de mettre en place les moyens de surveillance des informations qu’ils transmettent ou stockent ainsi que les moyens de recherche des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Ce dispositif de surveillance devrait être conforme à l’« état de l’art » (utilisation des technologies les plus avancées).
Par ailleurs, les éditeurs de services pourraient être tenus civilement ou pénalement responsables lorsqu’ils auraient connaissance d’activités ou d’informations manifestement illicites et qu’ils n’agiraient pas promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible.

La création d’un nouveau régime de responsabilité pour les plateformes numériques contribuerait à renforcer l’efficacité de la lutte contre la cyber-contrefaçon. De plus, elle permettrait d’harmoniser les règles applicables aux droits de propriété intellectuelle, dans la mesure où la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique soumet déjà les plateformes à une obligation de moyens.

Richard YUNG
Sénateur représentant les Français établis hors de France
Président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC)

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[*] Rapport d’information n°296 (2010-2011) sur l’évaluation de la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon (février 2011).