Paquet de cigarettes neutre: mon intervention en séance

Le 16 septembre, lors de la discussion du projet de loi de modernisation de notre système de santé, le Sénat s’est opposé au rétablissement de la disposition tendant à instaurer la neutralité et l’uniformisation des emballages de cigarettes et de tabac à rouler.

Insérée par l’Assemblée nationale, sur proposition du Gouvernement, cette disposition prévoyait, d’une part, que les « unités de conditionnement, les emballages extérieurs et les suremballages des cigarettes et du tabac à rouler, le papier à cigarette et le papier à rouler les cigarettes sont neutres et uniformisés » et, d’autre part, qu’un « décret en Conseil d’État fixe leurs conditions de neutralité et d’uniformisation, notamment de forme, de taille, de texture et de couleur, et les modalités d’inscription des marques et des dénominations commerciales sur ces supports ».

Le 22 juillet, la commission des affaires sociales du Sénat avait, sur mon initiative, substitué à cette disposition une stricte transposition de l’article 10 de la directive du 3 avril 2014 relative aux produits du tabac, qui prévoit que les avertissements sanitaires « recouvrent 65% de la surface extérieure avant et arrière de l’unité de conditionnement et de tout emballage extérieur », au lieu de 30% et 40% actuellement (voir mon amendement).

Le dispositif que j’ai fait adopter figure à l’article 5 decies du projet de loi. Légèrement modifié en séance publique, il est rédigé comme suit.

I. – L’avant-dernier alinéa de l’article L. 3511-6 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Les unités de conditionnement et les emballages extérieurs des cigarettes et du tabac à rouler portent, dans des conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé, des avertissements sanitaires associant un message d’avertissement et une photo ou une illustration correspondante qui recouvrent 65 % de leur surface extérieure avant et arrière. »

II. – Le I entre en vigueur le 20 mai 2016.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon intervention sur l’amendement du Gouvernement.

J’ai défendu, contre l’avis du Gouvernement, l’existence des marques en matière de tabac. Ma position n’est en rien une prise de position contre la politique anti-tabac, mais elle est motivée par le principe même de la défense des droits de propriété industrielle.

Mon argument essentiel, sinon unique, a été basé sur la remise en cause du droit des marques et sur la brèche qui serait ainsi ouverte en France dans les droits de propriété industrielle. Je crains qu’une telle dénaturation du droit des marques ne serve d’exemple et d’encouragement à d’autres actions dans les domaines des dessins et modèles, du droit d’auteur, des marques et des brevets.

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Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

Richard Yung. Je veux défendre la rédaction de l’article 5 decies retenue par la commission des affaires sociales. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je rappelle que la version que vise à rétablir l’amendement n° 639 du Gouvernement et qui a été adoptée par l’Assemblée nationale ne figurait pas dans le texte initial. Il y a donc eu en quelque sorte une deuxième réflexion lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale.

Pour ma part, à ce stade, je ne suis pas capable de dire si le fait d’aller au-delà de ce que prévoit la directive est un élément important dans la lutte contre le tabac. On évoque le cas de l’Australie. Il est vrai que c’est le seul pays à avoir instauré le paquet neutre, mais c’est surtout le seul à avoir fixé le prix du paquet de cigarettes à 14 euros ! Si nous le suivons dans cette voie, peut-être serons-nous efficaces dans la lutte contre le tabac.

Cela vous surprendra peut-être, mais je suis surtout préoccupé par l’atteinte au droit des marques et au développement de la contrefaçon que ce paquet neutre peut entraîner.

Gérard Longuet. Très bien !

Richard Yung. Ce paquet neutre, comme son nom l’indique, est un paquet de cigarettes anonymisé dont la forme, la couleur et la typographie sont rendues uniformes et aussi peu attractives que possible, puisque tel est l’objectif. Il réduit les marques à de simples dénominations en les amputant de leurs signes distinctifs.

Ce faisant, à mon sens, il porte atteinte aux éléments constitutifs de la marque, qui forment un chapitre important du droit de la propriété industrielle. Une marque, ce n’est pas seulement un nom ; c’est aussi une couleur, un dessin, un mouvement, des figures. Je comprends bien que l’idée consiste à les rendre anonymes, mais je pense qu’il s’agit d’une atteinte directe au droit des marques.

Supprimer l’un de ces éléments, c’est remettre en cause le droit du titulaire sur ses marques. Or une marque, c’est un élément important du bilan d’une entreprise. Sa valeur peut être considérable. C’est aussi un élément constitutif de l’identité de l’entreprise et de ses produits. Je crains que, si nous nous engageons dans cette voie, nous ouvrions une brèche dans les droits de propriété industrielle.

Enfin, cette dénaturation du droit de propriété devrait être compensée par « une juste et préalable indemnité », conformément à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Or le projet de loi ne prévoit pas de mécanisme indemnitaire. En adoptant le paquet neutre, nous irons au-devant de nombreuses difficultés et nous heurterons à toutes les juridictions comme le Conseil constitutionnel ou l’Organisation mondiale du commerce. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)