Spécialisation des juridictions en matière de propriété intellectuelle: réponse de la garde des sceaux

Le 29 mars 2019, j’avais adressé une lettre à la garde des sceaux en vue d’attirer son attention sur la nécessité de renforcer la spécialisation des juridictions en matière de propriété intellectuelle (voir l’article publié le 1er avril 2019).

Vous trouverez, ci-dessous, la réponse de Nicole Belloubet, datée du 20 décembre 2019.

Monsieur le sénateur,

Par courrier en date du 29 mars 2019, vous avez bien voulu me soumettre vos propositions de réforme de l’organisation judiciaire pour le droit de la propriété intellectuelle. Vous appelez de vos vœux la spécialisation accrue des juridictions civiles et pénales.

Je vous rejoins sur le principe, s’agissant d’une plus grande spécialisation de la justice pour traiter ce contentieux complexe et technique. Elle passe d’abord par une meilleure formation des magistrats appelés à connaître de ce contentieux et, la prise en compte des compétences acquises en ce domaine au moment de leur nomination.

Ainsi, l’École nationale de la magistrature organise, dans le cadre de son offre de formation continue nationale comme déconcentrée, plusieurs formations traitant du contentieux de la propriété intellectuelle dans ses dimensions nationales mais aussi européennes et, internationales.

Pour prendre en compte les compétences des magistrats au moment de leur nomination, des entretiens de carrière leur sont proposés depuis 2008. Ils permettent à la direction des services judiciaires d’identifier les magistrats bénéficiant d’un parcours professionnel qui les qualifie particulièrement pour traiter du contentieux de la propriété intellectuelle.

En amont de l’élaboration des projets de nomination de magistrats, des appels à candidatures sur des postes profilés sont régulièrement diffusés à l’ensemble des magistrats en juridiction ou en mobilité externe, permettant à la fois de soumettre à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature des propositions de nomination de magistrats particulièrement qualifiés et, aux magistrats intéressés par le traitement de ce contentieux, de faire valoir leurs compétences dans ce domaine technique.

Par ailleurs, la spécialisation des juridictions en droit de la propriété intellectuelle est inscrite dans le droit positif. En vertu des articles L. 211-10 et D. 211-6-1 du code de l’organisation judiciaire, dix tribunaux de grande instance sont spécialement désignés pour connaître des actions civiles, et notamment des demandes de dommages et intérêts, en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de marques et d’indications géographiques dans les cas et conditions prévus par le code de la propriété intellectuelle. Votre proposition de réduire de moitié le nombre de ces tribunaux mérite d’être examinée avec attention. Elle suppose également une concertation, qui ne s’est pas tenue pour l’heure.

Vous proposez également d’attribuer le contentieux des obtentions végétales au seul le tribunal de grande instance de Paris. Aujourd’hui, cette juridiction connaît déjà de plusieurs contentieux relevant du droit de la propriété intellectuelle. Il est seul compétent pour connaître des actions en matière de brevets d’invention, de certificat d’utilité, de certificats complémentaires de protection et de topographies de produits semi-conducteurs, en vertu de l’article D. 211-6 du code de l’organisation judiciaire. Il est également seul compétent pour connaître des actions en matière de marques, dessins et modèles communautaires en application des articles L. 211-11, L. 211-11-1 et R. 211-7 du code de l’ordre judiciaire ; R. 522-1 et R. 717-11 du code de la propriété intellectuelle.

Ce sujet est actuellement en cours d’expertise. Le GIP Groupe d’études et de contrôle des variétés et des semences qui délivre les certificats d’obtention végétales a son siège social près d’Angers ainsi que des établissements secondaires en régions. Aucune implantation n’est proche de Paris, ou située dans le ressort de la cour d’appel. Des vérifications sont en cours auprès du tribunal de grande instance de Rennes, qui pourrait après examen de son contentieux, être doté d’une compétence nationale en cette matière.

Je ne vous rejoins pas en revanche s’agissant de l’octroi à cinq tribunaux correctionnels d’une compétence exclusive pour les dossiers « simples » de contrefaçon. Il me semble que ces dossiers ne présentent pas une technicité suffisante. Il s’agit fréquemment d’infractions connexes à d’autres délits, comme celui de vente à la sauvette. J’y suis d’autant moins favorable que les délits du code de la propriété intellectuelle d’une grande complexité peuvent être traités par les juridictions interrégionales spécialisées.

Je vous prie de croire, Monsieur le sénateur, à l’expression de ma parfaite considération.